dimanche, juillet 08, 2007

une histoire de taf




Des fois, tu te dis que tu fais vraiment un boulot de merde. Quand tu dois annoncer à un sans-papiers, père de deux gosses que le no future est à compter de ce jour son présent, qu’à partir de maintenant, c’est le risque perpétuel de la rafle, du centre de rétention, du charter, et que c’est pas seulement pour lui, mais pour sa femme et les deux mômes. D’autant plus qu’à compter de ce début juillet, y a plus d’hébergement et plus de boulot non plus. Quand tu lui dis qu’il vaut mieux qu’il se barre, qu’il ne comprend pas et que tu répètes machinalement ces mots : « police, enfants, expulsion » et que ça te déchire la gorge et les entrailles. Tu essaies de rester pro et t’as envie de gerber, silences pesants. Le café à un immonde goût de dégoût du monde. « La patrie d’un peuple libre est ouverte à tous les hommes de la Terre » qu’il écrivait le Saint-Just. Il pleure. A croire que jamais le monde n’a été aussi libre. Il paie les cafés. Tu restes, tu prends le crayon, tu essaies d’écrire que tu fais un putain de boulot de merde, avoir la dernière image de cet homme qui s’en va en parlant du mektoub.

Plus tard, dans la soirée. Gosses qui balancent des feux d’artifice dans le quartier. Une dizaine étoilent le ciel de Nanterre sur une demi-heure. Ça gueule aux fenêtres : « Faudrait tous vous fusiller, bande de cons !!! » Dix minutes plus tard, trois cars de CRS (sans compter la BAC et les keufs normaux) débarquent pour un contrôle général d’identité. T’as les glandes en pensant à ton boulot, à la France et à la liberté.

T’es sur le banc à attendre le RER pour rentrer chez toi, tu repenses à tout ça, il est 22 heures 30 et tu sais que ça va pourrir ta nuit, tu sens une ombre s’approcher et piquer la feuille sur laquelle tu écris. Putain, S. ! Six mois au moins que tu l’as pas vu, un des pires l’an dernier, le vrai chef de bande ultraprovoc mais bourré d’émotion. Trop de sensibilité ce môme, il peut te faire sortir de tes gonds en un instant, parce qu’il aura capté en un quart de seconde où était ta faille, la vraie, celle qui saigne encore et qui purulera sans doute encore longtemps. Pas par méchanceté, mais pour protéger sa propre faille, celle qu’est encore plus grosse que la tienne et qui saigne dix fois pire. Le seul môme à qui t’as pour l’instant offert le Requiem des innocents de Calaferte, si c’est pas un signe…

Et donc le S. Trop plein, tu lui balances tout, les larmes du papa, les keufs surarmés pour trois pétards, ce monde insensé. Il te raconte qu’il a trouvé un taf de serveur dans un bar à Roissy, clientèle d’affaires, 1700 dollars avec les pourboires -psatik !-, une part de la paie pour la maman, se taper la cravate et le futal à pinces pour aller bosser à 5 heures et demi du mat’. On se raconte nos vies, et des silences aussi. S’en foutre que son histoire de taf soit du lard ou du halouf, juste un joli quart d’heure à deux dans un wagon surchauffé, la nuit tombée. Il descend à Châtelet, dernier sourire, la mélancolie revient doucement, tu repenses aux flics, et à cette vie qui serait bien plus simple autrement…


(OST : Tacite & T-Roro - Seul)

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