dimanche, novembre 30, 2008

les silences de Lacan





Ce sont les traces d’un texte qui ne sera jamais fini.

Jamais écrit, donc.

Plus d’une semaine plus tard, et les blessures sont toujours aussi vives.


« Nul de nous n’est sûr d’échapper à la prison. Aujourd’hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes ; le délit d’opinion est réapparu ; les mesures antidrogues multiplient l’arbitraire. Nous sommes sous le signe de la garde à vue. On nous dit que la justice est débordée. Nous le voyons bien. Mais si c’était la police qui l’avait débordée ? On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ? Peu d’informations se publient sur les prisons : c’est une des régions cachées de notre système social, une des cases noires de notre vie. Nous avons le droit de savoir, nous voulons savoir. »

Michel FOUCAULT, 1969,
(cité par Jean-Marc ROUILLAN dans ses Chroniques carcérales)




Lacan parle.

Il se tait, aussi. Surtout.

Racle sa gorge, mâchouille un peu son cigare.

Lacan se tait.

Deux jours à la Maison d’Arrêt de Nanterre. Se taire.

Se taire et hurler.

Taire le quartier disciplinaire, le mitard du quatrième étage, les murs fracassés, troués, sanglants, le maton ou l’infirmier ganté d’un plastique maculé de merde, au quatrième étage des cercles de Dante, le cliquetis des portes qui s’ouvrent et surtout se referment, et les cris des détenus peinent à frayer l’air du quatrième.

Lacan parle.

« De sa condition de sujet, on est toujours responsable. »

Responsable, ce môme de vingt berges ; il a choisi le deal, il assume la taule, il a choisi de me voir toutes les deux semaines pour quand même imaginer que le futur ne ressemblera pas toujours au quatrième étage.

Lacan pose.

Sûr de lui, aussi justement infatué de son savoir qu’un maton de sa trique.

Les matons, justement.

« De sa condition de sujet… »

Le samedi exceptionnellement, pour aller au parloir, comme d’habitude. Le-maton-qu-est-sympa (ie : celui qui précède toujours le nom du détenu par Monsieur) me dit que ce ne sera pas possible aujourd’hui parce que Monsieur est au quartier disciplinaire. Seuls les avocats, pas les éducateurs.

« Effectivement, Monsieur, je comprends bien ; seulement j’ai une autorisation de parloir avocat et je suis donc considéré comme tel… »

Je remarque opportunément le nom du lieutenant de permanence du week-end sur une affiche et, après cinq minutes de discussion stérile, demande à parler au supérieur de faction. Trop heureux de se décharger d’une quelconque responsabilité, le maton s’exécute (au sens figuré, hélas).

« … on est toujours responsable. »

C’est qu’il a l’air joyeux de bosser le week-end le lieutenant. Je lui ressors le même discours.

« …
- Non, pas possible.
- Très bien Monsieur, dans ce cas j’exige un courrier de notification expliquant les raisons motivées de votre refus, courrier que vous voudrez bien signer, ainsi que faire signer à la personne m’ayant délivré le permis de visite, à savoir Monsieur le Directeur. »

Je me cale dès lors dans la posture du gars qui attend que l’Administration Pénitentiaire lui remette un courrier un samedi matin de novembre.




Je ne sais toujours pas par quel bout prendre cette histoire. L’horreur de l’escalier menant au quatrième, la cravate de Lacan qui fait obstacle, ma propre peur.

Lacan parle.

Il se tait, aussi. Surtout.

Moi aussi.





et Léo emmerde le mitard et le Vauban !!!!

mercredi, novembre 19, 2008

je vous demande de nous arrêter !!! je vous demande de nous (faire) taire !!!



Nous aussi, nous avons manifesté dans notre vie. Nous avons même manifesté contre la guerre et pour la paix dans le monde. Certains d’entre nous ont même manifesté à l’étranger, et certains aux Etats-Unis.


Nous aussi, nous habitons ou aimerions habiter un village de 300 habitants. Nous avons même imaginé vivre et habiter à la campagne et devenir épiciers. Certains d’entre nous aimeraient reprendre une vieille ferme et planter des carottes.


Nous aussi avons des ordinateurs portables et des connexions Internets. Nous avons même créé des blogs politiques et associatifs. Certains d’entre nous connaissent même des sites libertaires ou anarchistes.


Nous aussi, nous possédons une carte des chemins de fer et destinations de la SNCF. Nous avons, pour les plus jeunes, une carte 12-25 ans pour voyager moins cher. Certains d’entre nous ont même été importunés par les voies ferrés dans leur promenade du dimanche.


Nous aussi, nous avons des livres à la maison. Nous avons même des livres politiques qui expliquent comment renverser le système capitaliste. Certains d’entre nous ont même écrit des livres subversifs expliquant comment organiser une action militante.


Nous aussi, nous aimons la nature. Nous avons même toutes et tous pensé faire de l’escalade pour profiter des paysages de montagne. Certains d’entre nous ont même, dangereux qu’ils sont, des mousquetons et un casque d’escalade.


Nous aussi, nous sommes allés à l’école. Nous avons même essayé de faire des études, voire beaucoup d’études. Certains d’entre nous ont même obtenus leur diplôme BAC+5.


Nous sommes toutes et tous des terroristes de l’ultra-gauche : Arrêtez-nous !













(et merci à olympedeuxgrouges pour son texte)

samedi, novembre 08, 2008

Pendant ce temps-là, d'autres négros en chient grave...







Et ça fait du bien de (re)lire quelques mots salvateurs...



"Comment expliquez-vous l'Obamania ?

Par le fait que Bush était devenu un objet phobique. Déjà, après le diabolique Nixon du Watergate, l'Amérique s'était donnée à un enfant de choeur qui cultivait des cacahuètes, Jimmy Carter. Bush, lui, a fait bien pire que Nixon, il s'est campé avec délice dans le rôle de "l'ennemi du genre humain" : refus du protocole de Kyoto, mépris pour les institutions internationales, politique de guerre préventive, droit de torturer, culte de la force, chauvinisme, etc. Cheney, son vice-président, était surnommé "Darth Vader". Le duo avait réussi à faire des USA le nouvel "Empire du Mal". Obama, c'est pour les Américains la rédemption. La bonté à l'affiche. Écoute, consensus, respect de l'autre, des différences, des pauvres, des faibles, "tout le monde il est beau il est gentil".

Oui, mais la fascination pour Obama va au-delà des Etats-Unis, c'est un phénomène planétaire.

Parce que les Etats-Unis restent la seule puissance planétaire. La Bushophobie était mondiale, elle s'est logiquement inversée en Obamania universelle. Obama, c'est l'homme-miroir de l'Univers, "l'homme-microcosme" comme on disait à la Renaissance, celui qui représente le monde dans sa diversité, qui réconcilie en sa personne et les races et les sexes : il est Africain, il est Américain, il est noir, il est blanc, il est homme, mais en même temps très mode, très mannequin, féminin, fluet, fluide, mignon à croquer, le contraire d'un McCain, handicapé, confus, couturé, tête brûlée, gueule cassée, affichant une virilité agressive qui était tout simplement périmée. Métis et hermaphrodite, qui dit mieux ?

Avec l'Obamania, on n'est plus dans la rubrique politique : on parle d' "espérance", on évoque des "miracles", on compare son "Yes we can" au "N'ayez pas peur" de Jean-Paul II.

Obama a en effet savamment cultivé une image de sauveur et rédempteur du monde, qu'il a promis - tenez-vous bien - de "guérir" et de "changer". Son génie a été de ne pas reculer devant la loufoquerie, et de puiser sans honte ni hésitation dans le stock des plus vieux mythes, des plus anciennes croyances de l'humanité. Et ça marche, même à l'âge de la science, même quand on croit ne plus y croire. Dans le même temps, sa campagne usait avec maestria des technologies les plus récentes. Il a joué sciemment au Messie, tout en modernisant le rôle à l'aide d'une rhétorique toute hollywoodienne : il parle comme un film.

Obama est actuellement l'homme le plus aimé de la planète. Mais on dit déjà que la déception est inévitable, et sera à la mesure de cet amour.

Ça, c'est de la politique à l'eau de rose. Obama a fait carrière à Chicago, où les fleurs bleues ne font pas de vieux os. Tout indique que lui au moins ne se prend pas pour Obama. Sa première recrue ? son pote, autre Chicagoen, Rahm Emanuel, qui sera son véritable numéro 2 : un sicaire hyper-efficace, qui ne fait pas de quartier. Il s'activera en coulisse pendant que, sur la scène, notre Saint Jean Bouche d'or nous chantera des berceuses."


Jacques Alain MILLER, 2008.

(le gendre de Lacan, toussa...)






"Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective.

Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des membres.

La première fin et, en dernière analyse, l'unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite.

Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S'il ne l'est pas en fait, c'est seulement parce que ceux qui l'entourent ne le sont pas moins que lui.

Ces trois caractères sont des vérités de fait évidentes à quiconque s'est approché de la vie des partis.

Le troisième est un cas particulier d'un phénomène qui se produit partout où le collectif domine les êtres pensants. C'est le retournement de la relation entre fin et moyen. Partout, sans exception, toutes les choses généralement considérées comme des fins sont par nature, par définition, par essence et de la manière la plus évidente uniquement des moyens. On pourrait en citer autant d'exemples qu'on voudrait dans tous les domaines. Argent, pouvoir, Etat, grandeur nationale, production économique, diplômes universitaires ; et beaucoup d'autres.

Le bien seul est une fin. Tout ce qui appartient au domaine des faits est de l'ordre des moyens."


Simone WEIL, vers 1940
Notes sur la suppression générale des partis politiques.

(la vraie Weil, hein, pas la Veil....)





A mardi, donc, vers Vincennes...





C'est quand même, au bas mot, aut' chose qu'un discours d'Obama...

Et une autre de l'alsaco, puisque ça a eu l'air de plaire...
Abd al Malik, C'est du lourd !

jeudi, novembre 06, 2008

Danse, bordel !!! (m'en fous, chuis lorrain -ou presque...-)









Et même si j'aime vraiment pas les z'alsacos, la chanson qui tourne en boucle en ce moment à donf' en mode repeat...

Et que ça rappelle quelques textes-hommages et de bien vieilles photos, et la vie tout ça, bordel de merde ; et danse bordel !!!



"C'est bête, c'est triste, lorsqu'on ne danse...
Plus...."





"Au fond d’une ruelle pas si évidente à trouver, nous approchons finalement le musée historique. Dur de mettre la main et le pied dessus, parce que les ruines romaines font tellement partie de la vie quotidienne ici, de la récupération architecturale que le moindre immeuble pourrait être un musée.

Le musée historique est tout ce que l’on attend d’une association d’érudits de la fin du XIXème siècle, dans un roman réaliste. Sauf que nous sommes au début du XXIème. Une femme d’âge mur lève les yeux, sertis de lunettes, vers nous. Elle parle français avec peine, mais semble prendre un grand plaisir à l’exercer. On sent en elle l’une de ces mécaniques rouillées qui grincent et geignent, mais avec d’autant plus de bonheur que la rouille chute et disparaît par ce mouvement. Heureuse aussi de voir des gens.

Le musée n’est pas chauffé. Il est assez grand, bien tenu, avec des tas de documents, plans comparatifs, photographies anciennes, indices cartographiques et humains et même géologiques qui satisfont ma névrose de maîtrise et de compréhension de mon environnement. La muséographie, comme on pérore dans notre pays avec prétention est un peu chaotique par moments, la chronologie respectée avec beaucoup d’entorses, qui ne sont pas compensées par une ordonnance thématique. Déstabilisant, mais heureux. On finit par se laisser transporter, passés les premiers croquis, par ce grand déambulatoire entre les chapelles historiques de la ville, on erre avec bonheur dans ce musée glacial, vide de tout visiteur, silencieux, mais craquant de partout.

En bas, nous retrouvons, en sortant, la femme d’âge mûr. Nous parlons un peu. « Nous aimons parler français, nous les érudits croates ou slaves. C’est important. C’est la faute de Voltaire et Rousseau… ».

Un homme est là. Il s’anime. Cheveux blancs, veste côtelée, marron, au velours élimé, déjà brillant. Dégarni, une belle couronne de cheveux blancs. Il s’anime et déclame plus qu’il ne parle. Un véritable dinosaure plaisant, universitaire à la retraite ou au placard ?

Non, ancien croupier à Las Vegas. Son français est hésitant mais théâtral et grandiloquent, et le voilà parti à nous narrer avec ferveur sa ville, Split, ses anecdotes, ses travers, ses drôleries et l’occupation de ces « connards de fascistes italiens qui n’ont même pas été foutu d’empêcher les soldats de saccager les ruines romaines ! ».

Ses vingt ans, il les a passés à Paris. A l’époque. A l’époque, nous disait-il, on dansait. On dansait partout à Paris, tous les soirs, dans la rue. Apprenant qu’Olivier et Marianne sont Parisiens, il leur jette, avec son accent slave grandiose : « on danse encore dans les rues de Paris ? ».

Comme ça. Olivier ne sait que dire. Marianne se tient coite.

« Parce que, enchaîne-t-il après un silence, hochant négativement la tête, de sa voix qui roule par boyaux et appendices pulmonaires, parce que, c’est ça qui manque aujourd’hui au monde. C’est des gens qui dansent. Regardez-nous, en Yougoslavie : on dansé ensemble si longtemps, ça a été la guerre parce que l’on a cessé de danser. C’est ça qui manque au monde. Dansez, sinon c’est la guerre. La guerre ou la danse, il n’y a pas d’autres choix. Ou on danse ou on crève, parce que la danse, c’est la poésie, et le monde, il lui faut une révolution qui danse et fait de la poésie sinon nous sommes tous morts. Allez danser dans les rues de Paris, ne faites pas attention à ce que disent les ignorants, dansez ! »

Au milieu des ruines romaines. Au milieu de Split. Il nous a dit ça."




Abd al Malik - Conte alsacien ; une pure merveille de danse et d'amour et de vie en masse, bordel de merde !!!





(et encore et éternellement merci au Dadu pour son merveilleux texte)

samedi, novembre 01, 2008

"C'est tout de même un peu incongru..."

Fin de soirée dans le métropolitain. C'était pas trop la night fever, night fever. Le changement à Bastille pour choper la une nous a mis au milieu d'une horde furieuse de honteux hommes verts. Hantise. On marche au milieu de six FAMAS (1) fièrement pointés vers le sol. Wilkommen in Frank(IIIème)Reich.

On catégorise à fond, en fait, ce soir. Avant on s'était tapés les Indo-Srilankais de La Chapelle et les bobos théâtreux venus voir Joël Pommerat aux Bouffes du nord (2). Avant, on avait vaguement cherché un fête sauvage trop hype dans le métro où devaient se presser les rédacs de Technikart et des Inrocks, mais qu'il y a eu trop de monde et donc que ça a été complètement foiré pour raisons de sécurité.

On va pour se rentrer, donc, et les militaires. Qui doivent rentrer à Vincennes, sans doute, après une dure journée à parader dans une quelconque gare. Six crânes rasés, si jeunes, oeil encore en service, sourcils fiers et inquisiteurs, le doux cliquetis des rangers dans les couloirs du métro.

Ligne 1, vendredi soir, 23 h30, de la mixité sociale en masse. Du jeune bobo qui va en teuf avec son méga pote tu vois quoiiiii, du vieux bourge en Loden vert qui rentre retrouver sa cheminée, son fauteuil Voltaire et sa grosse qu'il vient de consciencieusement cocufier sur les grands boulevards une demi-heure auparavant, du vieux punk de collec tout bourré que même à Hambourg il ferait peur aux dockers (3), du gaillard de banlieue de la Wesh-Coast, de l'élite de la France combattante qui s'est engagée et qu'a pas encore eu l'honneur de périr pour le drapeau dans une embuscade afghane, et nous, donc, aussi.

Et la scène. La photo à prendre. Les bobos tu vois quoiiiii se retournent et sourient, nous cherchent du regard, on mate et effectivement, oui, c'est trop la classe. D'autres gens, aussi. Un début de joie complice et bienveillante. 

Je sors l'appareil, m'approche. Le keupon est trop bourré et le militaire trop dans son rôle. One shot.

Retour sur la banquette. Montre la photo aux deux tu vois quoiiiiiii. Qui se marrent. Le Loden vert dit le plus sincèrement du monde à la cantonade que "C'est ça la démocratie". Un temps. Il se marre, puis nous regarde : "C'est vrai que c'est tout de même un peu incongru".

Tu m'étonnes, John.

Moment de partage à la con et essentiel entre des personnes qu'avaient rien à voir. Le punk descend à Nation, il a le pantalon de treillis aussi vert et camouflé que les autres mitrailleurs ; les tu vois quoiiiii et le Loden prennent la porte avant leur correspondance. On se salue, grands gestes de la main, ben ouais, a few minutes de bonheur un soir de Toussaint, et pas pensé à leur demander leurs mails pour leur envoyer la photo.

Le Loden vert doit retrouver sa grosse alors que nous finissons notre bière srilankaise au dessus du périph'. Il doit avoir le même oeil rieur que nous, il doit lui dire que parfois, malgré tout, c'est beau la France, elle ne comprend pas très bien, il repense au punk, aux gens du métro, à nous. Il replonge dans sa lecture du Figaro. Il rit.




























Du coup, le fantastique "Nous" des glorieux Ludwig von 88 est tout à faitement adéquat !




(1) : Oui, je t'ai déjà dit la signification de l'acronyme, Fusil d'Assaut de la Manufacture d'Armes de Saint-étienne. Tu peux briller maintenant au milieu de ton dîner à thème Vigipirate.

(2) : Je tremble (1 & 2), texte et mise en scène dudit monsieur. Si tu veux voir ce qui fait frémir le Tout-Paris en matière d'incompréhensible kitcherie qui se la joue post-moderne, vazy, fonce...

(3) : Qui pissent et qui pleurent sur les femmes z'infidèles toussa...